Quelle stratégie adopter pour les collectivités face à la présence de résidus de pesticides dans l'eau potable ? C'est l'épineuse question à laquelle a essayé de répondre une conférence parrainée par la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) lors du Carrefour des gestions locales de l'eau (CGLE), mercredi 29 juin.
La présence de pesticides dans l'eau potable n'est pas nouvelle, mais la liste des communes les plus touchées s'allonge. En cause : une évolution de la méthode pour leur recherche. Fin décembre 2020, une instruction adressée aux agences régionales de santé (ARS) a, en effet, établi une nouvelle approche pour harmoniser la sélection des substances à rechercher. Et la prise en compte (1) de cette modification aboutit, aujourd'hui, à un basculement vers des non-conformités – pour la limite de qualité – d'un certain nombre de captages d'eau potable. Une dizaine de millions d'habitants seraient ainsi susceptibles d'être desservis par une eau non conforme à la réglementation (2) à cause des pesticides. Avec un risque d'augmentation du prix de l'eau, dans un contexte de préparation aux nouvelles orientations de la directive Eau potable révisée et de la guerre en Ukraine. « Le contexte d'instabilité géopolitique a des impacts sur le coût de l'énergie et des réactifs », a pointé Franco Novelli, expert technique du département cycle de l'eau à la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR).
Pour répondre à ces défis, deux établissements publics ont partagé leurs expériences et pistes de réponses, lors du CGLE : le Syndicat départemental d'équipement des communes des Landes (Sydec 40 (3) ) et le syndicat Atlantic'eau (4) en Loire-Atlantique.
Le plan décennal de reconquête de la qualité dans les Landes
Parmi la centaine de forages dont il dispose, le Sydec doit composer avec deux captages (5) classés comme prioritaires en 2013. Des ressources considérées comme stratégiques (distribution d'eau potable à 20 000 habitants) et sans possibilité de substitution. La qualité de ces dernières est dégradée, notamment à cause de la présence d'un métabolite du métalochlore (6) , le Esa métolachlore (7) , et de
Le financement, point sensible pour les agriculteurs
Une des difficultés relevées par le Sydec reste la mobilisation sur le long terme des acteurs, car le résultat des efforts entrepris ne peut devenir visible que de nombreuses années plus tard. « La méconnaissance des mécanismes de transfert n'aide pas à valider les pratiques agricoles, a également souligné Lucie Schwartz. Les aides directes aux agriculteurs ne sont pas assez incitatives et adaptées à un changement de pratiques. »
Le financement constitue précisément un des points sensibles de la démarche. Des initiatives tentent de pallier les manques. « Des mesures agroenvironnementales et climatiques propres au territoire sont en cours d'analyse auprès du ministère de l'Agriculture », a ajouté Lucie Schwartz. « Certains agriculteurs se regroupent en association pour financer leur changement de pratiques grâce aux revenus apportés par des panneaux photovoltaïques », illustre-t-elle.
Le Syndicat départemental d'alimentation en eau potable de Loire-Atlantique Atlantic'eau a, quant à lui, été confronté à une présence importante de l'herbicide qui remplace désormais le métalochlore, le S-métalochlore et ses métabolites. « Face à cette situation, les élus ont rencontré la préfecture, en janvier 2016, pour demander d'interdire le S-métalochlore, mais cela n'a pas été suivi d'effet, a expliqué Laurent Caderon, directeur d'Atlantic'eau. Nous avons donc fermé les forages les plus touchés, réalisé des transferts d'eau et des mélanges entre ressources de différentes qualités, mais également traité avec du charbon actif en poudre. » Le syndicat a investi 6,5 millions d'euros dans des réacteurs à charbon actif micrograin. « Le coût du traitement est moindre par rapport à du charbon actif en grains, mais la production est localisée en Chine… ce qui pose des questions pour le futur », a constaté Laurent Caderon.
Certains élus de communes touchées par cette pollution ont voté des motions pour interdire l'utilisation des phytosanitaires, sans succès. D'ailleurs, le Conseil d'État leur a dénié toutes compétences pour réglementer ces molécules.
Les aides des agences de l'eau pour traiter les pesticides
Du côté des agences de l'eau, si la première approche reste un appui au volet préventif, une petite fenêtre pour le financement des solutions curatives s'ouvre. Les modalités diffèrent d'une agence à l'autre, mais la philosophie reste la même : ce soutien est conditionné à la mise en œuvre d'actions préventives et est réservé à certaines zones (comme les zones de revitalisation rurale) ou certains cas particuliers (en réponse à une demande d'un traitement d'urgence).
Concernant les captages de Masserac, le comité du syndicat a délibéré pour réviser les périmètres de protection : dans le nouveau document, l'interdiction de tous les phytosanitaires de synthèse devrait être demandée dans le périmètre rapproché (800 hectares).
L'approche par bioessais d'Atlantic'eau
Le syndicat a également développé un outil de vigilance pour repérer les polluants dans l'eau, mais également informer les consommateurs sur l'état de la ressource. Grâce à une approche avec des bioessais, le syndicat vérifie si l'eau pourrait avoir un impact toxique sur le vivant… Quelles que soient la concentration des molécules et leurs possibles interactions et effets cumulés. « Dans le département, nous avons observé un surnombre de cancers pédiatriques, d'enfants nés avec une malformation des membres supérieurs ; il y a une réelle inquiétude de la population : un sondage montre que, par rapport à la moyenne nationale, la confiance dans l'eau du robinet est moindre », a souligné Laurent Caderon.
L'approche s'appuie sur des banques d'empreintes spectrales d'eau de surface pour rechercher, sans « a priori », les micropolluants présents. Des outils statistiques permettent ensuite de faire des liens entre les signatures chimiques et les effets (perturbations endocriniennes, reprotoxicité, etc.). « Dans certaines zones, nous ne détections rien avec des analyses de molécules, mais notre approche par bioessais a montré que les échantillons avaient un effet antifongique », a illustré Mickaël Derangeon, vice-président chargé de la qualité sanitaire à Atlantic'eau et maître de conférences à l'UFR médecine et technique médicales de l'université de Nantes.
Un rapport de l'Anses a apporté, en 2019, un éclairage sur la question, qui peut être rassurant ou inquiétant, selon le point de vue : l'eau potable serait plus faiblement contributrice que l'alimentation dans l'exposition aux pesticides.