Comment se concrétisent sur le terrain les dispositions sur la continuité écologiques des cours d'eau, adoptées dans le cadre de la loi Climat et résilience d'août 2021 ? C'est ce qu'a cherché à évaluer la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, réunie à l'occasion d'une table ronde (1) consacrée au thème, mercredi 6 juillet. Le sujet est sensible et les débats ont été nourris, entre partisans de l'hydroélectricité, de la sauvegarde du patrimoine que constituent les moulins et les défenseurs de la reconstruction de la morphologie des rivières.
Deux listes comme leviers pour atteindre le bon état des cours d'eau
Pour atteindre le bon état des masses d'eau demandé par la directive-cadre sur l'eau, un objectif de rétablissement de la libre circulation des espèces aquatiques et des sédiments, et donc d'aménagement ou de suppression des obstacles, a été fixé. Dans cette optique, la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (Lema) classe les cours d'eau dans deux listes : la première concerne ceux à fort enjeu, pour lesquels aucun nouvel ouvrage ne peut être construit s'il constitue un obstacle à la continuité écologique. La seconde demande que, pour les ouvrages existants, leurs impacts sur la continuité écologique soient corrigés.
Une loi bloquante pour certains projets
« Ce que nous constatons, c'est que plusieurs projets sont en attente, voire bloqués, en application de l'article 49 de la loi Climat et résilience : les propriétaires, qu'ils soient privés ou des collectivités, envisageaient un effacement qui n'est plus possible, a pointé Pierre Dubreuil, directeur général de l'Office français de la biodiversité. La rédaction de l'article pose des problèmes et nos équipes ont du mal à le faire appliquer. Il existe également des attentes de la part de certains syndicats, (2) qui pointent des notions sujettes à interprétation et apparaissent paralysantes. Dans certains territoires, on constate une augmentation des remises en service de très petites installations car certains propriétaires se considèrent comme exemptés d'obligations réglementaires. »
Les programmes de financement de deux agences attaqués
Dans son programme d'intervention pour la période 2019 à 2024, l'agence de l'eau Seine-Normandie prévoit d'accorder 13 millions d'euros par an à des actions en faveur de la continuité écologique. À l'aide de cette enveloppe, les principaux acteurs accompagnés sont des collectivités à travers la compétence gestion des milieux aquatiques et préventions des inondations (Gemapi (3) ), parfois déléguée à des syndicats de rivière. Les financements accordés, selon l'agence, sont, d'une part, consacrés à des études de l'ensemble du bassin pour la prévention des inondations et la restauration des milieux naturels et, d'autre part, à des aménagements ou des effacements d'ouvrages. « La loi Climat et résilience a induit une modification de nos pratiques. Nous avons révisé le programme d'intervention 2019-2024 pour y intégrer de nouvelles modalités, dont une est un rappel au fait que nous finançons des projets qui auraient été autorisés par les autorités préfectorales, pour bien signifier que c'est après conciliation de ces usages et après autorisation préfectorale que l'agence de l'eau peut intervenir, a expliqué Nathalie Evain-Bousquet.
D'autres acteurs, comme la Fédération française des associations de sauvegarde des moulins, regrettent également l'application de l'article 49 de la loi Climat et résilience… mais pour des raisons différentes. « Nous avons rencontré la direction de la Biodiversité. Son interprétation repose sur le principe suivant : sur des ouvrages situés sur des cours d'eau classés en liste 2, nous ne pouvons plus détruire ; en revanche, sur les cours d'eau non classés ou en liste 1, nous souhaitons continuer l'effacement et les programmes d'aides des agences, confirmés après le vote de la loi, ont été peu modifiés. Il existe toujours des subventions préférentielles à l'effacement par rapport à l'équipement des ouvrages, a souligné Pierre Meyneng, président de la Fédération française des associations de sauvegarde des moulins, en désaccord avec cette approche. Nous avons donc dû attaquer les prorogations des programmes d'aides des agences de l'eau Loire-Bretagne (4) et Seine-Normandie (5) . »
Et certains parlementaires considèrent même qu'une révision de la loi serait bénéfique. « Le Parlement peut reconnaître qu'il a produit une loi moyennement applicable, a ainsi interpellé Ronan Dantec, sénateur du groupe écologiste de la Loire-Atlantique (Pays de la Loire). Je pense que nous avons commis une erreur de ne pas rester à la proposition (…) de faire confiance aux territoires pour trouver le point d'équilibre et que d'avoir pris une position descendante sur les retenues et les moulins est inapplicable. Le législateur s'honore de reprendre sa copie quand il se rend compte que, sur le terrain, c'est non efficient. »
Le nécessaire respect de la réglementation européenne
Reste que cette législation s'inscrit dans un cadre européen. Du côté de la Commission européenne, l'objectif à tenir reste le respect des objectifs réglementaires, notamment l'atteinte du bon état des masses d'eau demandée par la directive-cadre sur l'eau (DCE (6) ) ou encore la directive Habitats. Ceci en prenant en compte la conciliation des usages, avec des ouvrages à supprimer et d'autres à maintenir. « Nous sommes dans une phase cruciale pour la mise en œuvre de la DCE : nous démarrons le troisième cycle au bout duquel, en 2027, les États membres devraient atteindre le bon état, a rappelé Veronica Manfredi, directrice au sein de la direction générale de l'Environnement auprès de la Commission européenne. L'état d'érosion de la biodiversité est alarmant, notamment pour les écosystèmes d'eau douce. Nous sommes proches du point de non-retour. Parmi les principales causes : la fragmentation des milieux, liée aux ouvrages permanents, mais aussi la pollution. »
Plus récemment, d'autres textes sont revenus renforcer ces objectifs, comme la Stratégie européenne pour la biodiversité, qui vise la restauration de 25 000 km de rivières « à courant libre », ou le nouveau texte sur la restauration de la nature en Europe, qui ambitionne également de restaurer des écosystèmes aquatiques.
« Ce que nous cherchons, c'est promouvoir une résilience des territoires », a souligné Nathalie Evain-Bousquet. « Il faut s'attendre à une réduction du débit des cours d'eau et, bien sûr, tout va changer. Il va falloir que les acteurs du territoire se mettent autour de la table pour organiser ce changement. La meilleure façon d'y répondre, ce sont les solutions fondées sur la nature : utiliser les zones humides pour stocker de l'eau, retravailler les cours d'eau qui sont parfois rectilignes et auxquels nous nous sommes habitués, mais qui ne répondront pas aux enjeux du futur », a défendu la spécialiste face à cette situation inextricable.